Le Rêve
Le thème | Textes d'orientation

Rêver avec un après

Daniel Millas

Il y a seulement deux mois, nous attendions avec impatience l'ouverture du congrès de l'AMP : " Le rêve. Son interprétation et son usage dans la cure lacanienne". Il constituait l'événement prévu qui, en marquant un avant et un après, ordonnait temporellement le travail à réaliser dans l'École.

C'est pourquoi au Conseil Statutaire nous étions entièrement dédiés à penser et à organiser les activités et les soirées, qu'avec le Directoire, nous allions lancer dans les mois à venir.

Nous adonnant à cette tâche, nous avions trouvé dans le signifiant « TraumaƩ », le titre des prochaines Journées Nationales de l' EOL. Le choix de ce thème nous aurait permis de poursuivre les élaborations sur les usages du rêve qui auraient surgit dans le Congrès, d'approfondir ses implications dans la pratique analytique et de le mettre en tension avec les réponses venant de différents discours.

Cependant pendant que nous transitions à travers cet « avant » un évènement très différent s'est produit. La propagation imparable du COVID 19 éclate comme un réel dans nos vies, frappant tous les niveaux de la société.

Cet évènement inopiné nous a introduit d'une manière accélérée dans une temporalité incertaine à partir de laquelle rien n'était plus comme nous l'avions imaginé. C'est un type d'évènement qui, comme le dit J.A. Miller, sort du calcul de l'Autre, n'a pas d'autre cause que soi-même, « ce qu'on ne peut pas rapporter à un autre pour le déduire, pour le démontrer, pour le déterminer » [1].

Perplexité, angoisse, étrangeté… beaucoup exprimaient la sensation de vivre un cauchemar. D'être enfermés dans un mauvais rêve. Ce qui était une consolation car, aussi terrible que ce soit, cela laissait l'illusion de pouvoir se réveiller à un moment donné. De pouvoir rêver à nouveau avec la réalité d'avant.

Pour tenir il fallait recouvrir avec un sens quelconque la subite apparition de ce trou terrifiant que la science ne peut baliser qu'avec des informations partielles et avec des pronostics imprécis.

Trauma et rêve, dans un retournement disloqué de nos plans, ses sont installés au cœur vacillant de notre réalité collective.

Dans l'École, le temps paressait s'arrêter. Nous avons suspendu les activités et fermé le siège préventivement. Après, nous avons cherché des alternatives pour répondre à cette contingence et pour favoriser la mise en marche d'une élaboration collective.

C'est ainsi nous sommes arrivés à la Conversation du 14 mai sur « L'École dans les temps de la pandémie ». Elle a constitué le début des activités de l'année, une rencontre très désirée qui nous a permis d'expérimenter la vitalité de notre transfert de travail. Et de vérifier avec satisfaction que les conditions sont données pour avancer sur de nouveaux projets.

Comme vous le savez, le Congrès de l'AMP a été reprogrammé pour se dérouler du 14 au 18 décembre. Récemment Angelina Harari, Présidente de l'AMP, a annoncé que s'il ne peut pas se réaliser à ces dates-là parce que les conditions sanitaires ne sont pas données, il se déroulera à un autre moment, mais il ne sera pas annulé [2].

De cette manière, nous sommes retournés à un nouvel « avant » du Congrès de l'AMP.

Sa convocation : « Le Rêve. Son interprétation et son usage dans la cure lacanienne », se présente plus valide que jamais. Comme il a été signalé par ses Directeurs, Silvia Baudini et Fabian Naparstek : « On peut donc penser que ce Congrès ouvre un espace et un temps propices à interroger le rêve dans ce que chaque pratique a de hasardeux et comment le rêve vient rendre compte ou pas d'un réel pour chacun »[3].

En conséquence, il s'agit d'une proposition qui nous amène à interroger l'usage que nous faisons des rêves dans notre pratique et de ce qui constitue la particularité de l'expérience analytique.

Nous avons beaucoup à repenser dans ce sens. Les conditions de notre pratique ont été affectées dans cette conjoncture. Tout d'abord interrompue, elle a ensuite repris de manière virtuelle ou par téléphone.

On discute beaucoup sur la pertinence de cette modalité. Est-il possible de mener une analyse de cette manière ? Comment penser l'interprétation analytique sans la présence matérielle du corps de l'analyste ? Et les rêves des analysants ? Quelle incidence dans les rêves des changements forcés par la présence de cette catastrophe qui se répand dans toute la planète ? Quel usage en faisons-nous dans ces nouvelles conditions dans lesquelles se déroulent les analyses ? Quels effets de réveil peut-on constater ?

Ces questionnements, entre autres, nous invitent à une réflexion renouvelée. Comme l'affirme Angelina Harari : « L'histoire même de la psychanalyse nous montre comment l'usage des rêves convoque fondamentalement la pratique psychanalytique à l'épreuve de réunir à son horizon la subjectivité de son époque. La réponse se produit au par cas, à condition d'extraire la différence absolue du rêve » [4].

Suivant son invitation [5], nous allons relancer le thème du Congrès à la lumière des évènements que nous traversons. Nous allons inventer de nouvelles modalités de travail et toute proposition pour mener à bien cette tâche sera la bienvenue.

Nous le ferons en fonction de notre travail d'École, mais en nous reliant en même temps à l'élaboration proposée dans les autres Écoles de l'AMP. D'ores et déjà, nous pouvons compter avec la perspective d'une nouvelle rencontre avec les collègues de différents pays et de différentes langues avec lesquels nous faisons exister l'École Une.

Cet « avant » nous introduit dans une nouvelle temporalité que nous commençons à traverser d'une manière différente. Nous le faisons en étant plus avertis d'être livrés à la contingence, du manque de garantie de nos projets. Mais aussi plus affirmés dans la relation que chacun maintient avec la cause analytique.

Une cause qui nous soutient depuis de nombreuses années et qui, même dans ces temps d'adversité, nous permet de rêver avec un « après ».

Traduction: Ana Ines Vazquez et Isabelle Ramirez

NOTES

  1. Miller, J.A.: L'orientation lacanienne : "Les us du laps" - Cours n°11 du 8 mars 2020.
  2. "Comunicado de la Presidente de la AMP" en AMP UQBAR del 26 de abril del 2020.
  3. Silvia Baudini, Fabián Naparstek: "Presentación del XII Congreso de la AMP" en: https://congresoamp2020.com/es/articulos.php?sec=el-congreso&file=el-congreso/presentacion.html.
  4. Harari Angelina: "¿Seguimos soñando aún?" en "Rebus #24 Textos de Orientación" en: https://congresoamp2020.com/es/articulos.php?sec=el-tema&sub=textos-de-orientacion&file=el-tema/textos-de-orientacion/20-05-06_seguimos-sonando-aun.html
  5. Ibidem