Le Rêve
Traumdeutung | Inventaire

Ça continue de s’écrire

Véronique Voruz

La fin de l’analyse ne suture pas la faille qu’est l’inconscient. Après la dissolution du transfert, qui signale la fin de l’analyse et entraîne une déflation de l’inconscient transférentiel, par quoi la production des rêves est-elle régie ? Dans son Cours « Le Tout Dernier Enseignement », Miller souligne que le principe de plaisir est « vraiment la seule loi que [Lacan] reconnaisse à l’étage de l’Un, la seule loi qu’il reconnaisse au principe du sinthome.[1] » De l’inconscient réduit au plus près du registre du Un[2] au cours d’une analyse menée à son terme, continuent à provenir des rêves qui viennent réguler l’itération continue d’une jouissance irrépressible qui vient se combiner aux événements qui font irruption dans la vie de l’être parlant. Dans mon cas, trois rêves extrêmement marquants sont venus radicalement réorganiser mon économie pulsionnelle après la passe. J’ai déjà écrit sur le premier rêve, dont j’ai dit qu’il avait produit la chute de l’image avec laquelle je m’étais faite un monde – l’image non vue et pourtant indélébile de l’accident d’escalade de mes parents, qui avait eu lieu huit ans avant ma naissance.[3]

Plus récemment, deux rêves ont opéré une extraction et une nomination qui ont mis fin au bouillonnement difficilement supportable d’une jouissance supplémentaire produite par la parole d’amour infinitisante d’un homme. Cette parole avait eu sur moi l’effet qu’un homme peut avoir de rendre une femme Autre à elle-même[4] – entendu au sens qu’Éric Laurent a pu donner à cette expression de Lacan.[5] J’ai fait le premier rêve le soir où j’ai mis fin à cette relation : un objet était extrait de ma colonne vertébrale, et on me recousait avec une grossière suture. La phrase du rêve était : « ça tient quand même ». Peu de temps après, un deuxième rêve m’a laissée avec le signifiant « endocentrisme », dont je ne connaissais pas l’existence. Ce terme fait référence au fait de voir le monde à partir d’un groupe restreint, telle la cellule familiale. Le deuxième rêve nomme la jouissance solitaire que je continuais de retirer de ma lalangue et des personnages extrêmes du roman familial. Cette double opération d’extraction et de nomination, près d’un an après la fin de mon mandat, sont venues finaliser la chute de ma défense première contre le manque d’intérêt et d’amour de mes parents pour leurs nombreux enfants : le mépris, une passion de l’être qui attaquait ma relation à l’Autre à sa racine et me barrait l’accès à l’amour.

Les rêves, après la passe, continuent à écrire une limite à la jouissance sur le corps, et à introduire d’importantes mutations dans l’économie pulsionnelle du parlêtre. Dans mon cas, ils m’ouvrent l’accès à une vie faite d’une succession de rencontres libérées de l’automaton.

NOTES

  1. Miller J.-A., « En-deçà de l’inconscient », La Cause du désir no 91, novembre 2015, p. 105.
  2. En désinvestissant les articulations signifiantes pathogènes du facteur quantitatif, comme Miller le montre dans L’os d’une cure, Paris : Navarin, 2018.
  3. Voruz V., « La chute de la surmoitié », La Cause du désir no95, avril 2017.
  4. Lacan J., « Propos directifs… », Écrits, Paris : Seuil, 1966, p. 732.
  5. See Laurent É.: « le principe d’affolement étant le caractère illimité d’Autre à soi-même de la position féminine, qui introduit un principe d’illimitation, et qui rejaillit sur l’Autre », in L’Autre qui n’existe pas et ses comités d’éthique, leçon du 21 mai 1997.